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Jacques Weber fait sa Crise de Nerfs

Hélene Kuttner 27 septembre 2020
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A 71 ans, celui qui incarnait le comte de Guiche dans l’adaptation de Cyrano de Bergerac de Jean-Paul Rappeneau remonte sur les planches sous la direction du metteur en scène allemand Peter Stein au Théâtre de l’Atelier. Trois courtes pièces de Tchekhov, dont deux monologues, y sont présentées et le grand comédien, entouré de Manon Combes et Loïc Morbihan, s’y révèle magistral d’humanité. Un vrai bonheur de spectateur.

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La solitude de l’acteur

Le Chant du cygne est le monologue douloureux d’un vieux comédien russe qui reprend du poil de la bête après une beuverie nocturne, après une représentation. Le théâtre est vide, et le vieil homme se confie aux spectateurs, évoquant une vie médiocre à écumer les théâtres, à courir derrière une reconnaissance illusoire pour se retrouver tout seul le soir à la maison. Entre délire et poésie lumineuse, nostalgie d’une époque révolue et amertume d’un destin de saltimbanque, Anton Tchekhov brode avec un fil d’or le portrait d’un artiste ordinaire dans son épouvantable solitude face à l’absence de public, face à lui-même. Jacques Weber, stature de colosse et crinière blanchie, dans la pénombre d’une scène quasi-vide, se fait l’interprète émouvant de ce double, qui chevauche Shakespeare, Hugo et Rostand. Il nous bouleverse par cette humanité meurtrie, par cette offrande généreuse au public. Lui-même acteur depuis 50 ans, ayant foulé les plateaux de tournages et des salles de théâtre de France et de Navarre, le pierrot lunaire poudré de blanc, les yeux dessinés au charbon noir, qui déambule en toge romaine, est son double imaginaire, onirique.

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Des méfaits du tabac : un monologue magistral

Changement de décor avec cette célèbre tirade parue en 1886 dans La Gazette de Saint-Petersbourg, parodie d’une conférence sur le tabac donnée par le mari d’une directrice d’école, malmené et harcelé par sa femme, et obligé de donner une leçon de morale mal digérée à des parents et des jeunes filles de bonne famille. Au pupitre d’une salle jaunie par le tabac, la mèche folle et le gilet noir serré sur une chemise qu’il passe son temps à rajuster, l’acteur est magnifique de talent et de virtuosité dramatique, alternant la farce, le drame sentimental, le sérieux moraliste et le ridicule du détail qui tue. Seul devant un tableau noir, c’est un personnage hallucinant de poésie et de burlesque qui nous embobine avec ses histoires à dormir debout, ses nombreuses filles qui lui causent tant de soucis, ses basses besognes qu’on donne à un « épouvantail », bref, un monologue haut en couleurs pour un comédien magistral qui ravit à chaque instant le public.

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La demande en mariage

Deux jeunes comédiens, Manon Combes et Loïc Morbihan incarnent les deux prétendants à ce mariage impossible organisé par le père de la jeune fille, que Jacques Weber incarne. Imaginez une mégère sous les traits d’une jeune fille prude et ravissante, et un dictateur sous le smoking enrubanné d’un jeune prétendant dont la langue et les mains ne cessent de fourcher et de trébucher, tout cela sur un sofa de velours vert. A l’époque où les jeunes propriétaires s’unissaient pour agrandir leurs domaines, ces deux tourtereaux défendent férocement leur pré carré et la politesse sucrée fait place à une guerre des gangs. Peter Stein souligne le trait et pousse à la farce, les comédiens s’en donnent à coeur joie pour emballer la mécanique chaplinesque, et cette dernière pièce clôt une soirée de rires et de larmes. Merci aux artistes !

Hélène Kuttner

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